Hasui Kawase : Maître des Paysages Japonais et Figure du Shin-Hanga

Hasui Kawase : Maître des Paysages Japonais et Figure du Shin-Hanga #

Le parcours d’un artiste entre tradition et renouveau #

L’histoire de Hasui Kawase débute à Tokyo en 1883, où il naît sous le nom de Bunjiro Kawase, dans une famille commerçante du quartier de Shiba. Son orientation artistique s’impose dès l’enfance, malgré le souhait paternel de le voir reprendre les affaires familiales. Refusant de sacrifier sa vocation artistique, Hasui s’engage, non sans réticence de son entourage, dans un apprentissage artistique exigeant.
Son premier maître, Saburosuke Okada, occidentalise sa formation par l’aquarelle et la peinture à l’huile, offrant à Kawase une ouverture rare à l’époque sur les courants artistiques occidentaux. Bien que ces influences marquent ses techniques ultérieures, c’est auprès du peintre traditionnel Kiyokata Kaburagi qu’il trouve sa voie. Après un premier refus, Kaburagi l’accepte finalement dans son atelier, considérant la détermination du jeune artiste.
Ce mentorat s’avère décisif. Kaburagi, éminent représentant de la peinture bijin-ga, introduit Kawase à Watanabe Shōzaburō, éditeur visionnaire, instigateur du renouveau de l’estampe (shin-hanga). Cette rencontre marque le début d’une collaboration féconde et durable, qui propulse Kawase sur la scène artistique japonaise et internationale.

  • Naissance : 18 mai 1883, Shiba (Tokyo)
  • Formation initiale : peinture occidentale avec Saburosuke Okada
  • Mentorat clé : Kiyokata Kaburagi, figure reconnue du nihonga
  • Décision professionnelle : abandon des affaires familiales pour l’art
  • Collaboration fondatrice : Watanabe Shōzaburō, éditeur du shin-hanga

Cette trajectoire, ponctuée de choix audacieux, nous montre l’exemplarité d’un artiste qui, tout en puisant dans la tradition, a su s’émanciper pour mieux renouveler les codes de l’époque.

L’estampe paysagère sous l’ère Shin-Hanga #

Avec la montée en puissance du shin-hanga dans les années 1910–1930, Hasui Kawase impose une vision singulière. Le terme “shin-hanga” désigne le mouvement de “nouvelle gravure” qui, tout en ressuscitant les thématiques classiques de l’ukiyo-e, introduit des éléments empruntés à l’art occidental et fixe une approche moderne du paysage. Kawase, soutenu par Watanabe, produit près de mille estampes, dont l’essentiel célèbre la beauté du Japon rural et urbain.
Contrairement à la tradition ukiyo-e focalisée sur les beautés féminines ou les portraits d’acteurs, Hasui va s’attacher à rendre la poésie du quotidien à travers des vues de temples sous la neige, des villages au crépuscule, des ponts enveloppés de brume. Son traitement subtil de la lumière, sa recherche de l’atmosphère, et sa composition épurée font de lui le chef de file incontesté du paysage shin-hanga. Il parvient à conjuguer l’élégance de la tradition avec une sensibilité toute nouvelle, influencée par l’impressionnisme et la photographie.

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  • Caractéristiques du Shin-Hanga : intégration des effets de lumière, réalisme atmosphérique et réinterprétation de sujets traditionnels
  • Différences avec l’ukiyo-e : importance donnée à la perspective, au jeu des ombres et aux saisons
  • Impact : redéfinition de l’identité visuelle du Japon moderne

Cette approche novatrice contribue à populariser le genre auprès d’un public japonais mais aussi international, notamment aux États-Unis et en Europe, où les estampes de Hasui sont vite recherchées.

Techniques, inspirations et spécificités stylistiques #

Le génie de Hasui Kawase se mesure à son éclectisme technique et à l’originalité de sa démarche artistique. Maîtrisant la peinture à l’aquarelle et le dessin préparatoire minutieux, il collabore étroitement avec imprimeurs et graveurs pour donner vie à ses croquis. Ses œuvres se distinguent par une qualité d’exécution exceptionnelle et par une palette chromatique nuancée.
L’artiste puise chez Hokusai et Hiroshige l’art du paysage, l’évocation du passage des saisons, ainsi que le goût de la composition asymétrique. Il s’inspire aussi des recherches occidentales sur la perspective, le clair-obscur et l’ambiance lumineuse, caractéristiques du yōga. Ainsi, les scènes nocturnes baignées d’un bleu profond ou les vues de neige, telles “Zojoji Temple in the Snow”, révèlent une capacité à traduire la lumière avec une délicatesse inédite.

  • Médiums utilisés : esquisse à l’aquarelle, gravure sur bois, impression multi-couleurs
  • Thèmes récurrents : pluie, neige, crépuscule, saisons, ponts, temples, villages ruraux
  • Effets stylistiques : réalisme poétique, variation des tons, jeux de transparence et de brume

Nous observons chez Hasui un sens aigu de l’observation, une mise en scène émotive du paysage, soulignant la fragilité de l’instant et la profondeur du paysage mental japonais. Chaque estampe devient un poème visuel, une évocation sensible du rapport à la nature propre à l’archipel.

Œuvres emblématiques et séries iconiques #

Au fil de sa carrière, Hasui Kawase compose des centaines d’estampes qui marquent durablement la mémoire et l’imaginaire collectifs. Sa série “Vues de Tokyo” (“Tokyo Fukei”) réalisée dès 1919, s’attarde sur des quartiers et monuments connus, souvent transfigurés par la pluie ou la neige. L’œuvre “Shin-Ōhashi, Atake no Yūgure” illustre par exemple la beauté mélancolique d’un pont tokyoïte au crépuscule, devenue icône du paysage moderne.
D’autres cycles, tels que “Voyages Est-Ouest” (“Tabi Miyage”), immortalisent les sites emblématiques du Japon rural et maritime — Matsushima, Nikko, Miyajima — alliant fidélité topographique et dimension onirique. Les paysages nocturnes constituent un sommet du style Hasui, révélant une maîtrise rare des contrastes et des reflets, comme dans “Night Rain at Kariba”.

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  • “Vues de Tokyo” (1919–) : quartiers anciens, ruelles désertes, temples sous la neige
  • “Tabi Miyage” : paysages de voyages à travers tout l’archipel
  • Paysages nocturnes : jeux d’ombres et de lumières, atmosphères contemplatives

Grâce au dynamisme de Watanabe, ses estampes sont rapidement diffusées sur le marché américain puis européen, trouvant place dans les collections du Rijksmuseum et de nombreuses institutions. Leur valeur symbolique réside dans la fixation d’un Japon en transition, oscillant entre mémoire et modernité.

Reconnaissance officielle et héritage artistique #

La reconnaissance institutionnelle de Hasui est tardive, mais éclatante. En 1956, un an avant sa mort, il reçoit l’appellation rare de “Trésor national vivant” (Ningen Kokuhō) pour l’ensemble de son œuvre, consacrant son rôle dans la préservation de la culture japonaise. Cette reconnaissance officielle témoigne de la portée universelle et durable de son art.
Son influence se manifeste chez des artistes contemporains du Japon et d’Occident, des céramistes comme Shoji Hamada aux peintres comme Paul Jacoulet. Les grandes expositions rétrospectives, tant à Tokyo que dans des institutions comme le Metropolitan Museum of Art ou le British Museum, rendent hommage à cette œuvre qui continue d’éveiller fascination et admiration.

  • Titre de Trésor national vivant attribué en 1956
  • Présence dans les collections internationales majeures
  • Influence persistante sur l’estampe contemporaine et la photographie

Nous constatons la singularité de son héritage : Hasui incarne la mémoire visuelle du Japon, et son œuvre inspire explorateurs, artistes et collectionneurs qui voient en ses estampes le reflet d’une modernité à visage humain, respectueuse du passé.

L’évolution de la cote et la place des estampes de Hasui Kawase sur le marché de l’art #

Depuis les années 1980, la popularité des estampes de Hasui ne cesse de croître sur le marché international. Les ventes aux enchères mettent en avant des feuilles adjugées à plus de 20 000 € pour les plus rares, en particulier les tirages d’avant-guerre ou édités uniquement en petit nombre par Watanabe. La valeur d’une estampe dépend notamment de sa provenance, de son état, du tirage et de la présence du cachet original de l’éditeur ou de la signature manuscrite de l’artiste.
Il convient de se montrer vigilant face aux nombreuses reproductions postérieures et rééditions. L’expertise repose sur une analyse rigoureuse des papiers anciens, des pigments utilisés, de la qualité d’impression et de la présence du cachet “Sui”. Les institutions comme Sotheby’s ou Bonhams proposent régulièrement à la vente des œuvres de Hasui, signe de l’engouement durable auprès des amateurs.

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  • Cote moyenne : entre 2 000 € et 12 000 € pour une œuvre typique, bien conservée
  • Critères d’authenticité : papier d’époque, cachet de l’éditeur, signature, absence de falsification
  • Marché mondial : forte demande aux États-Unis, en Europe, et en Asie

Cette dynamique s’explique par la synthèse unique que propose Hasui : un dialogue entre la tradition japonaise et la sensibilité moderne. Investir dans ses estampes, c’est acquérir une part de la mémoire sensible du Japon, portée par la main d’un maître dont la modernité n’a rien perdu de sa force.

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